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Cet article (extrait de celui publié dans La Tribune le 14/10/2019 par Olivier Soriaexpose de façon détaillée les circonstances qui ont permis et permettront encore qu'une catastrophe telle celle de Rouen de se produire


Un avis favorable dans le PPRT

Les PPRT (Plan de protection des risques technologiques) sont des plans qui permettent d'éloigner les installations classées dangereuses des habitations, notamment en interdisant toute construction d'urbanisme à proximité.

Le PPRT de Lubrizol a été acté en 2014. Dans le cas de Lubrizol, l'avis fut favorable sans aucune recommandation particulière.

En ce qui concerne les habitations à quelques mètres de l'usine, rien.

Idem pour un terrain d'accueil des gens du voyage, et ce alors que nous savons désormais que ces habitants ont été gravement impactés par des vomissements suite à l'incendie et que nous sommes en attente des résultats complémentaires effectués sur ces familles.

 

Les études d'impacts allégées

La réglementation des installations classées a fait l'objet de nombreux assouplissements ces dernières années.

Les gouvernants successifs sont intervenus en 2 temps.

En 2017, un décret crée des "études d'incidences" (et non des "études d'impacts")

Dans un 2ème temps, extension à toutes les demandes d'autorisation à partir de 2018.

A savoir que :

 

Des règles assouplies pour les sites Seveso

- En 2009, le gouvernement Sarkozy crée un statut dérogatoire à la procédure d'autorisation en créant un régime d'enregistrement qui ne comporte plus d'étude d'impact.

- En 2016, le gouvernement Hollande étend ce régime à de nouveaux secteurs (stations-service).

- En juin 2018, le gouvernement Macron publie un décret qui réduit le périmètre des projets soumis à évaluation environnementale.

Installations concernées : les installations Seveso

Dispense d'évaluation environnementale systématique par procédure d'examen au cas par cas, en cas de modification d'exploitation

- En août 2018, loi Essoc, (simplification des formalités administratives) :

Cette loi retire la compétence de l'examen à l'autorité environnementale indépendante et la confie au préfet lorsque le projet consiste en une modification des installations, et non en une création.

 

Autorisation préfectorale

C'est ainsi que, à la suite d'assouplissements de la réglementation mis en œuvre par le gouvernement, le préfet a autorisé en début d'année une augmentation de capacité des produits dangereux dans l'usine de Rouen.

L'exploitant a présenté 2 demandes successives d'augmentation des quantités de substances dangereuses le 15 janvier et le 19 juin 2019. Conformément à la loi Essoc, c'est donc le préfet qui s'est prononcé sur les demandes et non l'autorité environnementale indépendante.

Dans les 2 cas, il a considéré qu'il n'y avait pas lieu à évaluation environnementale.

Si la modification est soumise à évaluation environnementale, elle nécessitera une nouvelle autorisation. Par contre, les modifications non soumises à évaluation comme celles demandées par l'exploitant de Lubrizol n'en nécessitent pas.

Tout se trame donc autour de cette exclusion : les autorisations dépendent du préfet dès lors qu'il s'agit de modification des installations, et non d'une création.

 

Seuils dépassés

C'est à partir de cette "nuance" que Lubrizol a pu obtenir à 2 reprises les autorisations d'aménagement. 

La motivation de Lubrizol était de réduire les coûts liés au stockage des containers jusque-là réalisé sur le port du Havre, puis dans une entreprise de stockage, selon les informations du site actu-environnement.com. De même, contrairement à ce qu'a dit la préfecture, les seuils nécessitant une nouvelle demande d'autorisation ont été dépassés.

Si l'on cumule les capacités des deux augmentations successives, on parvient à des quantités supérieures au seuil haut des deux rubriques contribuant au classement Seveso : 1 034 tonnes pour la rubrique 4 510 (seuil haut à 200 t), 1 605 tonnes pour la rubrique 4 511 (seuil haut à 500 tonnes).

Or l'incendie est parti d'une zone de stockage en surcapacité.

Les gouvernements successifs, qui ont abaissé systématiquement les exigences de sécurité en supprimant les règles de droit, et les services de la préfecture qui n'ont pas fait appel à une étude d'incidence environnementale indépendante portent donc en partie la responsabilité de cet accident, même si le préfet de Seine-Maritime, Pierre-André Durand, a rejeté la faute exclusive sur l'exploitant lors d'une conférence de presse, le 3 octobre.

S'ajoute à ce manque de responsabilité des autorités en amont de l'accident, une gestion de crise décriée pour n'avoir pas alerter en temps et en heure toutes les populations des risques d'exposition aux produits toxiques répandus dans le sol et dans l'air.

L'incendie de l'usine de Lubrizol souligne donc l'incapacité de l'État à protéger la population dans le cadre d'une catastrophe majeure, alors même que les experts environnementaux en prédisent de bien plus graves pour les années à venir.